mercredi 24 mars 2010

CHAPITRE XVIII

1954-1955 : Les petites vacances. Sr Christine



Pour mémoire, Anne est en 9e, je suis en 8e.

La surprise est de taille cette année,(?) les religieuses ont changé de costume. Elles ont quitté la coiffe triangulaire pour un simple voile autour de la tête, il y a moins de jupons et d’épaisseurs, une chasuble toute droite au-dessus de leur robe leur sert de tablier. Les avis sont unanimes, elles sont beaucoup mieux et , toutes souriantes devant l’effet produit. Nous apprenons surtout que désormais le Madame disparaît et que toutes seront Sœurs. Quelle évolution, quelle révolution ! Il va falloir s’y faire pour des anciennes comme nous.

Autre changement, le réfectoire est transformé. (Année ?) Les longues tables ont disparu. De part et d’autres d’une allée centrale, chaque classe a sa table. A l'entrée se tiennent les petites, les grandes sont devant. Chaque maîtresse est placée à une extrémité. Le service des sœurs est plus aisé ainsi. Pour nous c’est plus convivial, d’autant que chaque jour, on se décale d’une place. Ainsi nous changeons de vis-à vis, sans changer de voisine ; en quelques jours, on se retrouve à côté de la maîtresse. Mais surtout, désormais, on peut parler à tous les repas. En fait ça n’a l’air de rien, mais c’est une petite révolution de pouvoir discuter avec la maîtresse…
Mme St Georges préside toujours la table d’honneur, désormais elle entonne le Benedicite (jusque là récité), à sa droite Sr St Augustin, toujours avec son assiette de pruneaux, professeur de dessin, à sa gauche Sr Ste Geneviève, l’économe, Sr St Paul, la vieille Sr St Edmond…et autres religieuses qui n’ont pas la responsabilité d’une classe.



L’instauration de petites vacances au cours des trimestres, celles de la Toussaint, de mardi gras juste avant le carême, dites aussi vacances de Carnaval, et celles de la Pentecôte est un EVENEMENT, il intervient ( je crois) à cette époque. Que de changements!


Les trajets se font encore en train. Notre père a son bureau place des Buisses (aujourd’hui disparue) juste en face de la gare, c’est pratique, nous attendons qu’il termine son travail et nous emmène à Dompierre, notre maison de campagne, un paradis où nous retrouvons nos cousins et cousines ; c’est une propriété de famille héritée de nos grands-parents. A chaque vacances j’y retrouve Béatrice qui a mon âge. Elle arrive avec sa famille tout droit de son institution parisienne. Wouah! Elle a un joli uniforme gris avec un chemisier écossais! La classe! Notre amitié repose sur les mêmes bases, elle est le souffre-douleur d'une certaine Mère marie Stanislas... De plus, son père est en Indochine, ce qui me peine car elle me dit combien cet éloignement lui pèse. Nous devenons très amies. Elle aime comme moi jouer à la poupée…Que de félicité en sa compagnie, un océan de bonheur. Bientôt nous entretenons une correspondance assidue, qui dure encore à l'heure actuelle. Un vrai journal de confidences. La fin des vacances est toujours triste, on s’encourage mutuellement en se jurant une amitié éternelle.

A Lille, nous sommes, Anne et moi, fascinées par le spectacle de la rue St André, qui d'ailleurs évolue au fil des ans. C'est, à cette époque, une rue commerçante pleine de vie, Maman n'a qu'à traverser pour trouver tout ce dont elle a besoin, les nombreux petits commerces affichent des vitrines pleines de lumières. La quincaillerie devant la maison est tenue par Mr Laderrière! Le plus amusant, c'est le marchand de peaux de lapins qui arrive en chantant: "Peaux de lapins" sur son vélo couvert de fourrures, les charrettes à cheval de Pierchon qui livrent le charbon ou les bouteilles de bière, on les entend de loin sur les pavés. Nous observons la voisine d'en face assise près de sa fenêtre à longueur de journée. Cela nous change tellement de la pension! Nous avons le cœur gros à chaque rentrée des classes.

Je revois parfaitement le quai de la gare de Lille où stationnent les trains en partance pour la Belgique, quand il faut revenir à Callenelle. Maman affecte une certaine tristesse mais je crois bien qu’en son for intérieur, elle n’est pas fâchée de nous voir partir.


*****


Sœur Christine décède à son tour. C’est de nouveau une belle messe de Requiem, plus simple toutefois que celle de Mme St Alfred. Seules, la communauté des religieuses et nous, y assistons. Je ne suis pas trop triste, Sr Christine me faisait peur, pour la simple raison qu’elle était polonaise et ne disait pas trois mots de français. Sa meilleure compagne était Sœur Romuald, russe, peut-être ukrainienne. Elle était vieille et peu gracieuse. Avec moi, elle grommelait souvent, je devais sûrement piétiner ses plates-bandes, écraser ses salades mais quelquefois, rarement, je la faisais sourire et c’était presque fascinant de voir ce visage sombre s'illuminer! Elle était experte au jardin. Elle arrivait souvent poussiéreuse à la Chapelle, d’un pas lourd, elle s’avançait pour la communion, toujours la dernière, voûtée sous le poids des ans et de son dur labeur. Elle me faisait l'effet d'être la dernière des dernières dans la hiérarchie de la communauté, c'est la raison pour laquelle je lui rends un hommage appuyé. Elle paraissait si seule mais sa mort a dû malgré tout causer un vide chez les sœurs. Quant au potager, il a exprimé à sa manière ses regrets…