mercredi 24 mars 2010

CHAPITRE XVII

1953-1954 Anne


A la rentrée, comme je ne m’y attends pas, c’est l’explosion de joie, la meilleure nouvelle que je pouvais entendre, nous sommes plusieurs à sauter d’excitation, je n’en crois pas mes oreilles. Mme St X n’est plus là. Vous êtes sûre ? Personne ne peut imaginer le soulagement ressenti ce soir-là. Avec mes amies, nous courons dans le dortoir. La religieuse qui la remplace, Mme Sainte Marie-Cécile est obligée de dire : « on se calme ! sinon elle revient. » Je prends aussi sec la résolution d’être vraiment obéissante. Ce ne sera pas si difficile, notre nouvelle maîtresse est un ange à côté de celle qui l'a précédée, elle sourit, elle paraît heureuse. Je nomme Mme Ste Marie-Monique. Sa petite sœur Marie-Paule est dans ma classe, et y restera longtemps d’ailleurs. Elles ont des rapports privilégiés toutes les deux, c’est bien normal. Je n’ai aucun souvenir de brimade particulière. Je suis toujours faible en arithmétique, moins inquiète cependant et tout va bien. J’apprendrai plus tard que Maman, consciente de ma détresse, est intervenue en ma faveur pour que je ne sois plus sous l’autorité de Mme St X. Est-ce cela qui a motivé son départ ???…

Anne enfin entre à son tour à Callenelle, en 10e. Nous sommes élevées comme des jumelles à la maison, autant dire que sa présence désormais m’enchante. Elle n’est pas dans ma classe et je n’assiste pas à ses malheurs; elle a la malchance d’être gauchère et à cette époque, on fait tout pour redresser ce tort. Elle pleure à son tour, se faisant gronder en toutes circonstances. Elle en est si malheureuse qu’elle en fait parfois pipi. On lui accroche alors la culotte dans le dos. Elle écrit comme une patte de mouche et se retrouve un jour punie de façon très humiliante: debout dans la corbeille à papiers avec ses pages froissées. En couture, elle n’est guère plus adroite, elle fait ses points dans le mauvais sens, alors elle promène sa vilaine nappe épinglée dans le dos pendant une semaine. Elle a toujours cette nappe bleue et le souvenir qui s’y rattache. Maintenant Anne est ambidextre !



Anne 5ans1/2 et « Marie-Pierre » Colette (7ans) et " Yves "
en robe de baptême !


Un dimanche matin comme à l’ordinaire, nous jouons à la poupée. Je l’ai dit, je suis une maman en herbe très attentive, Anne un peu moins, seulement par mimétisme... Maman, favorisant volontiers ce penchant, nous confectionne de charmants habits de poupée. Chacune a sa valise en carton, avec une mini-dînette. Et curieusement, on m’apporte une lettre… de… Papa ! La première depuis 5 ans ! Et quelle lettre ! Deux pages au moins de sa jolie écriture que j’aime tant, une lettre pleine d’affection et d’humour, que je lis et relis. Elle est trop belle. Il me dit que je ne dois pas pleurer mais que si je pleure, ce n’est pas grave parce qu’il fabrique de beaux mouchoirs en lin. Il recommande à Yves d’être bien sage sinon il aura affaire à lui….
…Je n’ai plus cette lettre mais je souhaite à toutes les petites pensionnaires d’en recevoir une pareille !
Il fallait que je le dise, d’autant que je n’en ai plus jamais reçu d’autre…


Une nouvelle commence à circuler à laquelle il faut se préparer : l’année prochaine Le pensionnat des Dames de St Maur fêtera son cinquantenaire. Il y aura beaucoup d’invités et nous retracerons à travers quelques saynètes, l’histoire de la pension.