mercredi 24 mars 2010

CHAPITRE XIII

Le dimanche

Jour du Seigneur. On ne travaille pas.

Le dimanche est donc consacré aux cérémonies religieuses, la première étant la grand’messe. Elle débute par l’Asperges me. Le prêtre revêtu de sa chape de cérémonie encense l’assemblée jusqu’au fond de la chapelle. Il est assisté par deux enfants de chœur venus du village tout exprès. Les chants sont en latin, certains chantés par le petit chœur, d’autres plus courants par toute l'assemblée. Après le credo, le curé prêche en chaire, on tente d'évaluer, par le nombre de feuilles qu'il tient dans ses mains, la durée du sermon. L’ite missa est le bienvenu car nous mourons de faim. Nous quittons la Chapelle, au coup de claquoir, en rangs jusqu’en classe, où nous déposons les bérets, les gants et les décorations. Nous enfilons à la hâte les tabliers pour nous diriger enfin vers le réfectoire.
C’est le seul petit déjeuner de la semaine où nous pouvons parler, on ne s’en prive pas. Notre appétit est féroce ces matins-là. Ensuite, on remonte au dortoir pour faire son lit en grand, en retournant le matelas, tantôt de gauche à droite, tantôt de bas en haut. Le mien est en paille donc léger. On peut aider sa voisine. On peut parler mais défense de courir bien entendu. On peut même descendre sa poupée en classe.

Cependant avant de jouer, c’est la distribution du courrier. Peu importe qu’il soit lu auparavant par une religieuse, les lettres nous font toujours plaisir. Les grandes sœurs les lisent en premier et viennent nous les apporter. Seulement il faut répondre, même si on n’a rien reçu, il faut écrire tous les dimanches. En bonne catholique, je fais une petite croix tout en haut de la page, puis "Mes chers parents"…. Qu’est-ce que je vais bien pouvoir raconter ? Notre emploi du temps est réglé comme du papier à musique. L’inspiration ne vient pas, c’est une vraie corvée, qu’il faut écrire au brouillon d'abord et recopier ensuite ; nous répétons toujours les mêmes choses, d'ailleurs, à l'exception de cette toute première lettre affectueusement contresignée par mon père, les parents ont supprimé toutes les suivantes: les quatre lettres hebdomadaires de leurs quatre filles chéries, on en aurait fait autant !


On peut ensuite jouer avec notre poupée, ou dessiner en salle de classe. L’après-midi, promenade obligatoire. Nous quittons alors le pensionnat, en uniforme de circonstance: manteau, béret, gants, et traversons en rangs serrés le village. La bonne tenue y est de rigueur. Dans la campagne, nous marchons librement. Nous apprécions cette semi-liberté qui permet de se retrouver auprès de sa meilleure amie. La nature n’est pas particulièrement attrayante, que ce soit le long des champs de betteraves sucrières, au bord du canal, au milieu des villages sinistres ou à N-D de Bon Secours, petite chapelle à la halte pieuse obligée, cela ne nous enthousiasme pas et nous trouvons en hiver, ces promenades longues, ennuyeuses, fatigantes, répétitives, tout pour les faire de mauvais gré. Personnellement, je préfère les jeux de ballons.

Au printemps, c’est plus agréable pour tout le monde, nous partons d'un bon pied, la bonne humeur règne. Nos promenades favorites sont celles qui nous mènent au « Bois de France » Sous les arbres, nous nous précipitons vers un tapis vert tendre qui s'étale généreusement et que nous connaissons bien, pour y cueillir à volonté des brassées de muguet. C'est à celle qui fera le plus joli bouquet, avec ou sans les feuilles. On emmène parfois le goûter : du pain et un morceau de chocolat. Nous avons toujours faim à cette heure-là. De retour au pensionnat, notre premier soin est de plonger les fleurs dans l'eau, ou dans l'encrier. Quelle surprise unanime, le lendemain matin, de respirer l'air embaumé de la classe, et de contempler les sillons bleus de l'encre dans les corolles blanches.

L'autre promenade appréciée est celle qui nous mène à " La Garenne ", à l'orée du bois de France. Le terrain y est accidenté et sablonneux et les genets qui y croissent offrent une multitude de possibilités pour nos parties de cache-cache. L'endroit est propice aux pique-niques; allongées dans le sable chaud, nous savourons le rayon de soleil à l'heure de la sieste, sous l'œil à demi consentant de notre surveillante, dont à l'occasion, nous célébrons la fête.
Nous rentrons pour les Vêpres, les Complies et le Salut, sans oublier d'arborer une nouvelle fois nos distinctions. Que de psaumes, de motets, d’oraisons, d’antiennes…tout en latin. Cela nous paraît à toutes très fastidieux ! Petite consolation, le soir, un repas amélioré, peut-être une tasse de chocolat, nous attend et on peut parler à table. L'étude qui suit est la seule que j'aime et que je trouve trop courte, c'est celle de ces jours de congé où nous avons droit au livre de la bibliothèque.
Ainsi s'écoulent les dimanches, les semaines, les mois...