mercredi 24 mars 2010

CHAPITRE XXVI

1960 -1961 En troisième






De gros travaux sont entrepris au-dessus de la classe violette et de la classe verte. On aménage le grenier en chambres individuelles, pour nous, paraît-il. Est-ce à cause du chantier ou par manque de place dans le dortoir, quatre ou cinq d'entre nous, dont Fanny, se retrouvent au 2e étage du bâtiment principal. Anne et moi partageons la même chambre située au-dessus de celle de la supérieure; enchantées de retrouver notre intimité familiale, nous bavardons tard le soir. Anne n'est plus dans ma classe, étant douée en maths, elle est en 4e moderne et je suis en 3e classique. La surveillance de Mme St Paul dans la chambre voisine ne nous inquiète pas le moins du monde, à son âge, elle dort sur ses deux oreilles.

Notre salle de classe où règne toujours Mme St Joseph est descendue d'un étage, dans l'ancienne classe bleue, Mme Ste Claire a déménagé au Pavillon tout au bout, devant le saule pleureur. Et la vie scolaire suit son cours.
Edith est partie à l'école ménagère. J'ai toujours mes bonnes amies: Fanny, Cécile, Marie-Odile, la jolie Karin Solignac-Lecomte, Pascale Archange qui nous gâte avec des pastilles Pulmoll qu'elle rapporte de la pharmacie de ses parents, ainsi qu'une gentille flamande, Mauricette Van Neste, aux expressions rigolotes: "Vous avez pas vu une fois mon porte-plume-réservoir?" nous demande-t-elle avec son fort accent belge un jour, alors qu'à quatre pattes, elle recherche son stylo. Elle ne tarde pas à devenir la meilleure amie de Cécile. On les voit toujours rire ensemble à la promenade. Je retiens quelques noms chez les plus jeunes, Simone Roquette, Laure Mabille de Poncheville, Marie-Françoise Poutrain, Marie-Ange Leblon, Pascaline Dalle, Gertrude Salembier… avec lesquelles nous partageons messes, repas, promenades et récréations. Grâce aux sorties de quinzaine, nous commençons à écouter la radio et surtout à regarder les affiches de cinéma. Nous n'avons d'yeux que pour Anthony Quinn, Gary Cooper, Lino Ventura…. Un jour, notre décision est prise, je dis à maman que je vais me promener en ville, qu'elle ne s'inquiète pas, en réalité je vais voir un film avec une amie, dont j'ai oublié le prénom et qui n'est pas pressée de rentrer chez elle, à Wambrechies. Les films sont en technicolor sur grand écran; parfois ils sont en deux parties, avec un entracte au milieu, le temps nous manque pour voir la deuxième partie, nous sommes frustrées. Si on le pouvait, on resterait bien à la séance suivante, c'était possible à l'époque. Je me souviens avoir vu, avec maman, deux fois de suite l'Aiglon avec Bernard Verlay.
Quant à Sissi impératrice! Elle est trop belle! La Princesse de Clèves me laisse rêveuse. A Dompierre, je partage tout cela avec Béatrice éblouie elle aussi, à l'époque, par le Duc de Nemours. Ce sont les prémices de l'adolescence, des frémissements de petite pensionnaire. Nous nous émancipons doucement. Nous commençons à parler très sagement de garçons, des amis de nos frères. Un jour, à Dompierre, le beau regard espiègle d'un ami de mon cousin a croisé le mien, il occupe dès lors mes premières pensées d'adolescente.




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Cette année-là, la sortie de classe nous a laissé un curieux souvenir. Un peu avant les vacances de Pâques, nous sommes allées voir La passion du Christ à Marcinelle, près de Charleroi. Une pièce de théâtre dont on parle beaucoup pour sa mise en scène fastueuse, d'une durée de deux heures au moins, j'aurais envie de dire trois, avec changements de décors à chaque entracte. La salle est pleine, le public varié, d'autres écoles ont également fait le déplacement. Je crois que la troupe donne peu de représentations, tant le spectacle est éprouvant. La pièce comporte un grand nombre d'acteurs qui figurent les disciples, la foule, Ponce Pilate, le chemin de croix. C'est tragique. Le spectacle de Jésus en chair et en os, avec sa couronne d'épines et crucifié à demi-nu jette un certain malaise dans nos esprits d'adolescentes. Un lourd silence s'ensuit, difficile à définir. Les scènes s'immobilisent, reproduisant des tableaux que l'on voit dans de nombreuses églises sur le thème de la Passion. L'atmosphère est suspendue, la salle retient son souffle: la pièce est une belle œuvre d'art.



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Peu à peu, au 3e trimestre, nous réintégrons le dortoir surveillé par Mme St Joseph. Je me revois debout sur mon lit avant l'heure, ma tête est apparue trop tôt au-dessus de l'alcôve de ma voisine: Nicole Vincent est furieuse, elle enfile sa chemise de nuit. Je suis vraiment désolée. Ce que je peux être cruche!
Plus tard, je me revois aussi avec Karin, je lui caresse ses longues nattes que je lui envie et nous échangeons mots de réconfort et d'amour platonique!
Oui. Mes amitiés du temps de Callenelle ont toutes compté pour moi. A défaut d'y avoir donné suite, j'y reste attachée par un souvenir fidèle.

De son côté, Anne n'en peut plus. Elle ne veut plus revenir à Callenelle, elle n'a pas cessé de se faire gronder. Sa section a comme maîtresse de français une toute jeune femme qui vient de Tournai, un peu coquette et décontractée et qui se révèle vite assez peu qualifiée, c'est Anne qui lui corrige ses fautes d'orthographe. Elles sympathisent et leurs cours sont assez gais. Mais l'autorité supérieure ne tarde pas à réaliser que quelque chose cloche, et la jeune demoiselle est poliment remerciée. Anne et ses amies sont vertement remises au pas. C'est ainsi qu'Anne, exaspérée, supplie Maman de rester à Lille et finit par quitter le pensionnat pour rentrer en 3e au Sacré-Cœur à Lille, tout près de la maison.




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