mercredi 24 mars 2010

CHAPITRE I


Le premier jour

Je ne sais pas en quelle année je suis entrée au pensionnat. Ma mère n'a pas su me le dire avec précision. En fait, il me semble que c'est en Janvier 1950. Je viens d'avoir 4 ans. Les archives ou le témoignage d'anciennes pourraient peut-être le confirmer. Toujours est-il que je suis très jeune.

Je garde, bien inscrit dans ma mémoire, ce jour où je franchis pour la première fois le seuil du pensionnat. Mes parents et moi sommes reçus au salon. Je suis plantée devant un tableau de la Crucifixion, qui, à n'en pas douter, doit me préoccuper. La dame toute habillée de noir me prend sur ses genoux. C’est la Mère Supérieure Madame St Alfred, très douce. Bientôt, elle nous conduit à la Chapelle. Je suis maintenant dans ses bras. Elle ouvre la porte et de loin me montre une petite lumière rouge qui tremblote dans le choeur. « Tu vois, il y a quelqu’un là. Tant que la lumière brille, il est là, le petit Jésus, tu ne le vois pas mais il te voit, il ne faut pas faire de bruit. » J’ai beau regarder, je ne vois personne, je trouve que c’est bien sombre et bien silencieux, d’autant plus qu’elle parle à voix basse. Elle m’embrasse affectueusement. Je ne suis pas triste de voir mes parents repartir, et j’ai trois bonnes raisons, 1 cette vieille dame est très gentille, 2 j’ai deux sœurs qui sont déjà élèves dans le pensionnat, je ne suis pas seule ; et nous sommes dans le même dortoir. 3 je ne sais pas ce qui m’attend.

Le soir venu je suis contente, c’est comme la fête au dortoir. Les filles me regardent tout en rangeant leurs affaires ; elles se montrent leurs chemises de nuit, mais aussi leurs poupées, leur nounours. Chacune enferme ses trésors dans la table de nuit. Les mieux équipées déploient une carpette. Ce premier soir on a le droit de chuchoter. La religieuse donne ses ordres : les 6 chemises de corps en haut à droite, les 10 culottes en bas à gauche… C’est Catherine ma sœur aînée qui range mes affaires, elle est en quelque sorte ma marraine, les plus jeunes ont toutes une marraine désignée. Celle de Soisic est Claudie Ardaens. Je regarde de tous mes yeux cette animation : c’est bien plus gai qu’à la maison ! Je me déshabille, je retire tout et me voilà toute nue ; je me baisse pour ramasser mes vêtements et j’entends soudain la clameur et les rires des autres dans ma direction, une robe noire s’approche et me cache dans sa grande jupe : « Non non, ce n’est pas comme cela que l’on se déshabille, pas toute nue, voyons ! » ; je suis un peu étonnée de tous ces regards. Maman aurait tout de même pu me prévenir !