mercredi 24 mars 2010

CHAPITRE V

La Chapelle La Messe




LA CHAPELLE est assurément un lieu où nous passons beaucoup beaucoup de temps.
Située juste en face du dortoir rose, sa porte en bois est à double battants que l’on ouvre en grand les jours de cérémonie. C’est comme il se doit un lieu sombre, les vitraux et les boiseries le long des murs en sont la cause. En entrant à droite, le bénitier près duquel se trouvent les prie-Dieu de la Supérieure reconnaissable à son petit coussin rouge et celui de sa seconde, à gauche, le confessionnal. Le parquet est magnifique, ciré et si brillant que l’on pourrait se voir dedans, des prie-Dieu alignés pour chaque religieuse, des bancs en bois bien durs pour nous, en face à gauche un petit autel pour la Ste Vierge, en face à droite, la chaire. Le banc de communion, lui aussi à deux battants, nous sépare du chœur. Au fond, l’autel bien sûr, orné de cierges et de fleurs, derrière lequel on peut monter par quelques marches pour exposer éventuellement le Saint-Sacrement au-dessus du tabernacle. Une porte dans le fond à gauche donne sur la sacristie. Au mur, les douze stations du chemin de croix que nous ne manquerons pas de parcourir en temps voulu.
Une bonne odeur d'encens et de cire flotte dans ce lieu. Les bouquets embaument: lys, lilas, arums. Voilà pour le décor tant de fois observé dans ses moindres détails.



LA MESSE

Nous entrons deux par deux. Celle de droite prend de l’eau bénite, en donne à sa voisine et nous faisons le signe de croix. On s’avance à hauteur du premier banc et stop ! un claquoir retentit, nous faisons la génuflexion, au deuxième coup on se relève et on se glisse six par six dans les bancs de part et d’autre.
L’aumônier n’est pas un jeune prêtre dont pourrait rêver une adolescente, c’est un vieil homme nommé là pour une fin de carrière paisible. Son presbytère est la maison située à gauche en quittant l’institution. Outre les offices certes nombreux, il assure les confessions, fait passer les examens de catéchisme, s’occupe des retraites. Il dépend de l’évêché de Tournai.
Ce premier aumônier est bientôt remplacé par un autre moins âgé mais handicapé. Il porte son nom comme un gant. C’est lui-même qui nous le dit en riant à un cours de catéchisme. Pierre Labrique ! L’illustration en personne d’un épisode de d’évangile : « Je suis Pierre et sur cette pierre, tu bâtiras ton église »…Elle sera solide avec un tel nom. Sauf qu’un accident de voiture ou moto lui a détérioré un genou, il se déplace lentement avec une canne. Un détail retient mon attention, il fume beaucoup, ses doigts sont jaunis par le tabac, sa soutane fortement imprégnée de l’odeur. Au tout début, le dimanche, il essaie de monter en chaire pour le sermon comme son prédécesseur, mais est vite contraint d’y renoncer. Il prêche dès lors au niveau du banc de communion, ce qui retire du prestige à sa prédication. Nous avons ainsi le loisir de nous dissimuler plus facilement derrière la voisine de devant et de somnoler quelque peu. Donc, il gravit douloureusement les trois marches de l’autel: la foi, l’espérance et la charité, et exécute lentement mais stoïquement ses génuflexions à chaque fois qu’il passe devant le tabernacle, se relever est périlleux; la communion se prolonge car il revient, boitant bas, au point de départ du banc avec l’hostie au bout des doigts. Quand il faut la donner à une centaine d’élèves en âge de la recevoir et à toute la pieuse communauté de religieuses, la distribution dure à elle seule un bon quart d’heure. La messe s'en trouve prolongée d'autant.

Un jour, ça ne manque pas ; l’hostie tombe. Consternation ! on arrête tout. Il lui faut remonter, toujours sans canne, les trois marches de l’autel, la foi, l'espérance et la charité, il cherche un petit mouchoir en pur fil de lin, (ce qui se fait de mieux), un peu d’eau bénite, la patène, redescend les trois marches, la charité, l’espérance, la foi, arrive sur le lieu du drame, se baisse, ramasse l’hostie, la dépose dans la patène, essuie le sol avec l’eau bénite et le linge, baise le sol et se relève enfin pour ranger ses saintes affaires. Il repart vers les trois marches… J’aurais bien voulu l’aider. Mais non, aucune femme n’est admise sans autorisation spéciale du diocèse à pénétrer dans le chœur ; une religieuse Mme Ste Monique a pourtant reçu cette autorisation car elle est sacristaine. Mais elle n’entre pas dans le chœur pendant l’office, seulement après, pour souffler les bougies avec son éteignoir. Elle agite de loin les clochettes en temps voulu, au sanctus par exemple. Dans le cas précis où l’hostie tombe à terre, il n’y a qu’un prêtre, qu’un homme qui puisse en laver l’honneur. C'est comme ça…
L’ennui, c’est qu’il est interdit de manger avant de communier, c’est une règle de l’église catholique en vigueur à l’époque, et nos estomacs crient famine. Il n’est pas rare de voir une élève défaillir, verte comme une pomme. De même certaines religieuses ne se sentant pas bien sortent en tremblant, soutenue par une consœur. D’autres s’accrochent stoïquement mais leur faiblesse a parfois raison de leur piété et tout s’écroule : bonne sœur, prie-Dieu, missel. Ce qui ne manque pas de nous divertir. Je rêve moi aussi de tomber dans les pommes mais je suis en trop bonne santé et n’atteint jamais la blancheur cadavérique souhaitée. Combien de fois j’implore le ciel, je prie les saints et récite des prières pour que ce bonheur m’arrive. Je voudrais faire semblant, simuler une pâmoison quasi mortelle, mais hélas, je ne suis pas brave, je crains de me faire mal, j’ai vu ma voisine avec une bosse énorme, de plus mon audace me rendrait rouge comme un coquelicot !

Aux protestations la réponse est calculée : « Le Christ a mis trois heures pour mourir sur la croix, vous pouvez bien patienter trois heures par semaine ! ». Plus tard je réfléchis : quarante cinq minutes multipliées par sept égalent trois heures quinze, sans compter que la grand’messe du dimanche dure plus d’une heure…on ne va pas chipoter ! mais je sais en partie pourquoi j’ai les genoux saillants et cagneux.

Après la communion, l'action de grâces se prolonge, permettant aux sœurs de regagner les cuisines. Je la mets à profit pour réciter le plus vite possible toutes les prières qui donnent droit à des indulgences. Ensuite je totalise mes jours. En toute logique, je devrais passer assez vite au paradis.
Claquoir! dernière génuflexion, nous quittons la chapelle en faisant la révérence à hauteur du prie-dieu de la mère supérieure, son œil droit contemple le tabernacle et le gauche est attentif à notre défilé.