mercredi 24 mars 2010

CHAPITRE VII

1951-1952 Deuxième année



En 1951 je rentre en 12e (maternelle), en classe rose. Madame Ste Véronique ma maîtresse m’a placée tout au fond de la classe. Pas loin Francette Clabaut, Bernadette Meyer, Marie-Alice Egalon… Nous ne sommes pas nombreuses, une douzaine peut-être. J’apprends à écrire avec un crayon à papier, une ardoise et des craies, des lettres.

Nous apprenons à compter avec un boulier qui a vite fait de me fâcher avec le calcul : 3 fois sept boules à droite, ça en fait 2 à gauche et une à droite, moins 6 ? je suis perdue. Où faut-il mettre les dizaines, les centaines ? Depuis je confonds droite et gauche, pour se repérer il faut faire le signe de croix bien sûr, je n’arrête pas de me signer. Maudit boulier !
J’adore le piquage, c’est bien plus simple, les trous sont déjà faits : on dessine le contour d’un objet avec de la laine et une aiguille. Encore faut-il ne pas entortiller la laine autour du carton. J’apprends des comptines, des chansons, j'apprends à colorier, à découper, à classer des lettres et des chiffres….Parfois j’ai des bons points, des images. La vie n’est pas désagréable. Mme St Alfred vient de temps à autre nous rendre visite. Elle aime les enfants et nous prodigue ses encouragements affectueux.

Hélas, je réintègre le dortoir rose. Catherine n’y est plus, Soisic est à l’autre bout. Le soir, je commence assez vite à me sentir moins bien dans cette grande pièce où dorment des filles que je ne connais pas ; parfois, il y en a qui pleurent parce qu’elles sont tristes tout simplement ou parce qu’elles se font gronder. Il y a de la sévérité dans l’air. Quelques noms parmi d'autres : Brigitte Flourez, Anne-Marie De Gruson, Marie-Noëlle Michon, Marie-Alice et bien d’autres… Mes parents me manquent, ma petite sœur aussi. Je ne comprends pas pourquoi elle ne vient pas avec moi, elle a de la chance, sa petite école de paroisse est tout près de la maison, elle y revient le soir pour dormir. Petit à petit la tristesse m’envahit, l’inquiétude aussi. Je fais mon premier cauchemar, des voleurs tambourinent à la porte de la maison. Ils vont tuer mes parents. Je pleure.

Un dimanche de temps en temps les parents ont droit de visite. C’est tellement rare ! Les nôtres sont venus pour nous emmener au carnaval de Tournai. C’est magique. Quelle foule dans les rues au passage des chars, des géants, des défilés de majorettes, de musiciens…J’aperçois Brigitte Lesage une amie de ma classe avec ses parents, Papa s’est éloigné avec les plus grands. Maman essaie de nous tenir par la main Anne et moi, mais impossible ; ivre de liberté, attisée par la gourmandise, je lui échappe : du haut d’un char, une princesse jette, d’un geste large et prodigue, des poignées de bonbons à la volée, dans la bousculade, je n’ en attrape qu’un ou deux, pas de quoi me satisfaire et, malgré les appels contrariés de ma mère, je suis dans la cohue ce char qui avance à allure régulière. Je finis par m’arrêter sans pour autant m’être approvisionnée comme je le souhaite, le défilé continue ; voilà un autre char avec une autre princesse, je renouvelle mes tentatives désespérées durant quelques mètres mais la raison me commande de revenir sur mes pas. Je ne vois plus ma mère… Là je me prends une gifle bien sèche, assez méritée, je l’avoue. Le retour à la pension n’est pas glorieux, je ne suis pas fière, les parents nous quittent sans regret. Moi, je trouve que cette journée a été bien distrayante et Brigitte aussi. On en a bien profité. Mais nous n’assisterons plus à aucun carnaval.

Un évènement se prépare comme chaque année, c’est la Communion solennelle.
A cette époque la confection de la robe est laissée au choix des familles. Certaines communiantes ont de très jolies robes et des voiles en dentelle, dignes d’un mariage. Les comparaisons entre riches et pauvres ne manquent pas. Chacune est accompagnée d’un petit ange dont le rôle consiste entre autres à porter le missel de la communiante. La cérémonie est préparée de longue date. Je suis donc le petit ange de je ne sais plus qui. Je me souviens d’une grande lueur, suivi d’une bousculade, ma communiante, malgré toutes les recommandations, a tenu son cierge penché, le voile de celle qui la précède s'est enflammé. La grande robe noire est intervenue juste à temps, arrachant ce voile qui heureusement ne devait tenir que par un élastique ( ?)… C’est tout ce dont je me rappelle.

Ah si, j’ai très envie d’aller aux toilettes et j’ose y aller malgré les gros yeux de la religieuse. J’ai des gants blancs que stupidement, pour ne pas perdre de temps, je ne retire pas pour m’essuyer…ma tête ! quand je vois leur état. Vite je les passe sous l’eau froide et les remets comme si de rien n’était. J’ai oublié la suite.