mercredi 24 mars 2010

CHAPITRE X

1952-1953 Madame St Alfred, Communion Solennelle de Catherine.

A la rentrée, il n’y a plus de classe blanche, plus d’élèves de philo. Mme Ste Lucie ( ?) est tombée malade, il n’y a personne pour la remplacer.

En 1952, je suis au premier rang de la classe, en 11e. Au début tout se passe bien. J’ai pour maîtresse Mme St X. Ca devient sérieux. J’ai 6 ans et demi. Nous avons le droit d’utiliser des porte-plume, des plumes que l’on trempe avec précaution dans l’encrier. Certains porte-plume sont très jolis, roses ou bleus, et à la lumière, on peut voir la Tour Eiffel (ou une basilique…) dans une petite loupe. Certaines élèves fortunées ont tout un choix de plumes brillantes, de tailles et de formes différentes. Elles font aussi de belles collections de buvards, certains magnifiques, surtout les dorés et argentés qui renvoient le soleil. Elles échangent ou donnent les doubles comme aujourd’hui nos petits-enfants échangent les cartes de Pokémons, un vrai trafic.
Sur la première page de chaque cahier, en haut à gauche, nous dessinons de belles initiales: "J M J " et au-dessous: " Priez pour nous "

Fait exceptionnel trois garçons ont été admis dans notre classe, Stéphane et Pierre Allard., enfants de Callenelle, les fils du médecin, je crois bien. Et un petit Jacques du Maisnil, si mes souvenirs sont bons. Ils sont externes; un peu intimidés, ils ont le nez dans leur cahier, mais s’intègrent bien pendant la récréation de dix heures ; (à l’occasion ils sont enfants de chœur).
L’année débute normalement, nous formons de belles lettres avec des pleins et des déliés selon que l’on monte ou redescend la plume, il ne faut pas dépasser certaines lignes, je suis très appliquée, nous le sommes toutes. Le stylo à bille n’existe pas encore.

Un jour, nous apprenons que Madame la Supérieure, Mme St Alfred est malade, en effet, nous ressentons son absence, on ne la voit plus, elle si souvent présente. Je demande la permission de la voir qui m’est refusée bien sûr ; la rumeur dit qu’elle va de plus en plus mal. Jusqu’au jour où au son de cloche de la Chapelle, tel un glas, on nous annonce son décès. Nous sommes en novembre. Je regarde par la fenêtre sa chambre, je sens que quelque chose va changer et j’entends cette phrase terrible. « Tu ne la verras plus jamais ! » Je suis consternée, elle est partie sans me dire au revoir. Sans pouvoir l’exprimer, je me sens vraiment abandonnée.

La communauté est en émoi. Il souffle un vent de tristesse peut-être, d’agitation sûrement. Dans la cour, le gravier crisse sous les pneus des voitures qui vont et viennent, ce qui est inhabituel. L’atmosphère est lourde, au réfectoire on n’entend que le bruit des couverts dans les assiettes. Cependant, religieuses et élèves des grandes classes s’activent pour préparer des obsèques dignes de son rang.
La cérémonie est impressionnante. Sous mes yeux et dans mes oreilles de petite fille, se déroule une magnifique messe de Requiem, dans toute la splendeur de l’époque. L’évêque, entouré de plusieurs curés tous en noir et or, eux-mêmes secondés par les petits enfants de chœur en noir également, célèbre la messe avec solennité. L’un d’entre eux présente un encensoir à un prêtre qui y verse un peu de poudre, une fumée odorante se dégage et à tour de rôle, ils encensent l’autel puis le cercueil entouré de cierges et de fleurs, et l’assemblée. A la fin de la cérémonie l'évêque prend le goupillon et asperge à grands gestes l’eau bénite dans toutes les directions. La famille est là, la Mère Supérieure générale et d’autres sœurs ont fait le déplacement. La chapelle est pleine à craquer, les élèves ont été placées, un peu serrées à la tribune. Les chants répétés sous la direction de Mme Ste Claire, à l’harmonium, ne sont pas comme d’habitude. Ils sont plus beaux mais je trouve que ça dure un peu longtemps cette cérémonie.
Le cimetière n’est pas très éloigné. Une longue et lente procession suit le cercueil, nous défilons devant la tombe que je considère de tous mes yeux, où d’autres religieuses reposent déjà. Sans pouvoir le dire, je suis assez triste ; c’est une froide journée de novembre et de feuilles mortes dans cette allée de marronniers. Adieu Mère Saint Alfred, je t’en veux d’être partie, tu vas me manquer. Je te garde au fond de mon cœur, je ne t’oublierai jamais…


*****

Mme Ste Claire, responsable des élèves de premières assure l’intérim. Qui sera, comment sera la prochaine supérieure ? Elle est nommée pour 6 ans.
Peu après une image pieuse est donnée à chaque élève (qui le souhaite ?) avec la photo de Mme St Alfred. Je l’ai revue longtemps cette photo et puis je ne l'ai plus trouvée.

*****

En janvier, Mme St Georges est devenue la nouvelle supérieure. Je la connais de vue seulement et surtout d’oreille. Elle était, je crois, la responsable de l’école ménagère, on ne la voyait qu’à la chapelle et surtout on l’y entendait. Je l’attends impatiemment, persuadée que toutes les supérieures sont gentilles mais hélas, je suis bien déçue. Elle ne dit rien d’affectueux, elle est froide, et stricte ; les quelques mots qu’elle prononce sont formels et elle repart laissant dans mon cœur un grand vide.
A la chapelle, elle a pris l’habitude d’entonner les chants et ne redoute pas de faire des solo. Elle a sûrement eu une jolie voix mais pour l’heure, elle chevrote remarquablement. On se regarde mais on s’abstient de tout commentaire. C’est qu’elle aime chanter, Mme St Georges !


Une de ses premières réformes concerne la communion solennelle, probablement dû à l’épisode de l’année précédente. La date approche, Catherine va faire la sienne. Au grand soulagement de Maman, les communiantes porteront toutes la même robe, une aube, avec un petit voile assorti. Cela évite bien des tracas de préparation et de finances, le gros avantage étant qu’elle peut resservir. De cette fête, nous n’avons plus que cette seule photo toute découpée. Notre cousine s’est jointe à la fête. En bas à gauche, je suis le petit ange de ma grande sœur, encore bien jeune car il n’a pas d’autre souvenir de cette journée.