mercredi 24 mars 2010

CHAPITRE XIV

Une année scolaire: La Sainte Catherine, Le cinéma,
La vente de charité, La distribution des prix


Peu après la rentrée, ( ?) pour nous mettre en condition, et parce qu'il est nécessaire que notre année scolaire s’effectue dans le meilleur climat spirituel possible, une retraite de deux jours et demi s’impose. Un prédicateur venu d’ailleurs assure nos « instructions », deux fois par jour, classes par classes. Il les illustre d’exemples concrets, plaisante même, ce qui les rend assez vivantes. Nous avons chacune un cahier de retraite, nous prenons des notes, nous méditons… et le soir nous écrivons notre résolution du jour : « Je pardonnerai toujours » « Je ne dois pas critiquer » « Je rendrai le bien pour le mal » L’atmosphère est au recueillement et au silence, nous marchons à pas étouffés en rangs dans nos fréquentes allées et venues entre la salle d’étude, nos classes et la Chapelle. Au réfectoire, nous imitons « passe-moi le sel », s’ensuit un petit jeu de gestes qui déclenche le fou rire. Le soir, à l’heure de l’étude, nous lisons des livres sur la vie des saints et des martyrs.
J’aime bien les retraites, elles rompent la monotonie des jours et on n’a plus ni devoirs ni leçons. On ne met pas son tablier pour aller à l’instruction. On peut rêver.

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Le 7 octobre c’est la fête du saint Rosaire. Il faut réciter trois chapelets, c’est-à-dire 150 Je vous salue Marie…. mystères joyeux, douloureux et glorieux . Je passe. Ah ! ce chapelet, combien de fois par semaine, par mois, le récitons-nous, à genoux, ou dans les rangs ? Mais je me plie à la règle, avec un certain zèle d'ailleurs…qui , à l'usage, finira par s'essouffler.


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Arrive bientôt la Ste Catherine. C’est sans conteste la plus belle fête que nous attendons au cours du premier trimestre. Pour mémoire, c’est la fête de toutes les jeunes filles célibataires de moins de 25 ans « les catherinettes ». On ne travaille pas ce jour-là, c’est pour nous « congé d’ouvrage » Fait extraordinaire, il n’y a pas de célébration religieuse supplémentaire à cette occasion. Nous pouvons parler à tous les repas, aux menus améliorés.
En classe, le matin, entre les récréations, nous brodons ou cousons, à volonté ; il s’agit d’avancer l’ouvrage du premier trimestre, toujours le même, une barboteuse pour les orphelins des missions. Midi approche. On remet à chacune d’entre nous un petit chapeau en papier, tenu par un élastique. Chaque classe a le même, les grandes aussi en ont un : c’est un chapeau pointu, un chapeau de petit marin, un chapeau de militaire, une casquette, un chapeau de chinoise avec une tresse, une mini coiffe…qu’on a le droit de garder. On a répété le chant juste avant, et c’est, enchantées, que nous entrons au réfectoire, en hurlant à l’unisson les louanges de Ste Catherine :

Catherine était chrétienne, gladiou ou, gladiou ou, Catherine était chrétienne,
Son père ne l’était pas, son père gladiou, son père gladiou, son père ne l’était pas.
Un jour dans sa prière…. Son père la trouva.
Que fais-tu là ma fille… Dans cette pose-là ?
Je prie le Dieu mon père…Que vous n’connaissez pas.
Relevez-vous ma fille…Ou bien l’on vous tuera.
Tuez-moi donc mon père…Mais je ne faillirai pas.
Le roi dans sa colère…D’un glaive la transperça.
Les anges descendirent…chantant l’Alléluia
Les démons accoururent.. Et enfourchèrent le roi.

L’après-midi, jeux en classe, couture, récréations prolongées, lecture.
Au souper nous reprenons le même chant, d’un même cœur. Je crois bien que le chocolat chaud nous attend.
Peu après cette fête, commence le temps de l’Avent. Nous décomptons les jours. On sent qu’il se prépare quelque chose, à la chapelle les sœurs ont monté la crèche dans le chœur, je la trouve belle naturellement avec son subtil éclairage, il ne manque que le Petit Jésus. On comprend notre joie quand le trimestre enfin se termine et qu’approchent les vacances de Noël. Ces départs sont une vraie fête. Je n'ai pas vu mes parents depuis trois mois!
L’agitation est à son comble, il faut faire les valises. Les religieuses elles-mêmes partagent notre fébrilité et se montrent moins sévères.
Les trajets se font en train. Le jour venu, le réveil est matinal. Il fait encore noir. On ne traîne pas, le petit déjeuner avalé, nous partons en rangs à pied vers la gare de Callenelle qui n’est pas loin. Nous avons chacune notre valise. Nous sommes sur le quai. Il fait froid. On nous recommande de sauter pour nous réchauffer les pieds. Le train, tiré par la locomotive à vapeur arrive enfin dans un grand bruit de freins et de crissements de roues énormes. Nous grimpons dans les wagons de 3e classe, ils sont en bois. A Tournai, changement de train. Nous avons une heure d’attente. On nous fait chanter pour passer le temps. Les douaniers procèdent aux formalités d’usage. Le train redémarre enfin, terminus : Lille, gare du Nord. Les parents sont là. Joie !… Vive les vacances de Noël ! surtout à 5, 6 ou 7 ans…

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Les séances de cinéma sont un des excellents souvenirs de ces années de pension. Nous les attendons un jeudi par mois. Nous sommes réunies dans la salle d’étude pour l’occasion, à l’exception des élèves punies ou encore des âmes trop sensibles à certains films. Le cinéaste arrive avec ses grandes mallettes et installe son projecteur : deux grosses bobines de film qui ronronnent doucement quand les lumières s’éteignent. L’image saute un peu, c’est en noir et blanc, qu’importe ! on n’en perd pas une miette. J’ai quelques titres en mémoire, qui tour à tour me font rire, pleurer, trembler : Le premier de tous dont je comprends l’histoire est Pepito et Violetta, un petit garçon qui veut aller voir le pape avec son âne. J’y pense tout le temps à l’époque. Et puis ce sont des Laurel et Hardy, Heidi, Il est minuit Dr Schweizer, Les neiges du Kilimandjaro, Le pont de rivière Kwaï, des westerns, Léon Morin prêtre, Quai des Brumes, Le train sifflera trois fois, Le vieil homme et la mer, les Don Camillo…Entracte au changement de bobines ; ha ! quelle belle invention le cinéma ! Nous en sortons chargées d’émotions. Au réfectoire, c'est une joie de pouvoir parler du film tout en se régalant d’une bonne tasse de chocolat chaud.
Certains spectacles remplacent le cinéma, nous avons un prestidigitateur. Une fois c’est un bruiteur qui fait toutes sortes d’imitations dans son micro. Et même, un jour, une publicité en couleurs sur les bienfaits de la vache qui rit. On y voit les méchants microbes en noir envahir le corps humain, heureusement les gentilles vitamines blanches du lait aident les globules rouges à résister aux microbes et tout finit bien. Ma mémoire ne me dit pas si par la suite nous avons eu de la vache qui rit au réfectoire mais la logique me le laisse supposer.

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Le 2e trimestre est le plus long. Les fêtes religieuses n’en cassent même pas la monotonie.
Le 2 février est le jour de la chandeleur, (purification de la vierge Marie) nous avons chacune une bougie allumée pour entrer dans la chapelle, mais je n’ai pas le souvenir des crêpes comme le veut la tradition.
La fête du très Saint-Sacrement, un peu avant ou après le carnaval, est une cérémonie importante, puisque le Saint-Sacrement est exposé toute la journée à la chapelle. La célébration commence par une grand’messe, durant laquelle l’aumônier porte ses plus beaux habits sacerdotaux. La grande hostie est alors déposée avec faste dans l’ostensoir, sorte de soleil d’or placé au-dessus du tabernacle. Toute la journée, religieuses et élèves se succèdent pour l’adoration, afin de ne pas laisser le lieu désert. On s’y rassemble pour les vêpres, le salut et les complies. C’est « congé d’ouvrage » !
Le mercredi des cendres, premier jour de carême, l’aumônier se signe le front avec les cendres, puis les impose à toute l’assistance, religieuses et élèves. Ce qui nous fait sourire bien sûr, à qui aura la plus grosse tache. Au réfectoire; on fait maigre et abstinence de certains desserts et au goûter, pendant le carême nous sommes invitées à laisser notre barre de chocolat pour les pauvres. Les religieuses récupèrent le papier d’aluminium, elles en font des boules mais je ne sais pas trop à quel usage elles les destinent….Chaque vendredi de Carême, nous faisons le chemin de croix à l’heure du salut, en se tournant vers les douze stations…
La semaine sainte nous célébrons les offices, partageant de près la douleur et la passion du Christ. Le jeudi saint, toutes les cloches se taisent, elles vont, dit-on à Rome pour célébrer bientôt la Résurrection de Jésus. A la place, la religieuse et l’élève en charge des horaires se promènent dans les couloirs en faisant tourner la crécelle. C’est sympa, l’élève arbore un grand sourire. Les vacances approchent. Le vendredi saint, à 15h, nous vivons la mort du Christ à la chapelle…aux chants douloureux des lamentations de Jérémie. Mme Ste Claire nous a appris à les psalmodier avec recueillement et gravité. Nous quittons la chapelle sous le charme de nos prières et à la tristesse de la Passion suit l'allégresse des vacances de Pâques qui approchent. Le soir, c’est le seul jour de l'année où nous avons chacune un œuf dur ! ( me rappelle Martine Leclercq)
Le départ pour les vacances de Pâques se fait, à l’époque, le matin du samedi saint. Un peu plus tard, il se fera le vendredi soir. Je me souviens d'une année où, pour revivre cette atmosphère du vendredi saint, j'accompagne Maman à la paroisse. (Ste Marie-Madeleine à Lille). Mais je suis bien déçue de ne pas y éprouver l'émotion de la cérémonie: les chants sont bien ordinaires.

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Le 3e trimestre est nettement plus gai. Déjà nous ne sommes plus réveillées par l’Angelus mais par le Regina Caeli, beaucoup plus court et plus joyeux. Nous ne sommes pas nombreuses à le connaître, les nouvelles nous écoutent, éberluées. Nous sommes non seulement capables de le réciter mais également de le chanter.
La levée de persiennes, toujours aussi fracassante, annonce désormais l’arrivée du printemps. Rien d’étonnant, le moral est meilleur. Les beaux jours nous font apprécier les fleurs et les odeurs du lilas et des magnolias, la frondaison du saule pleureur, les minous des peupliers, les promenades, les cours en plein air….La préparation des fêtes de fin d’année nous rend fébriles : celle de la supérieure le 23 avril, la communion solennelle, celle du Sacré-Cœur en juin, la pièce de théâtre de l’année, le concours de piano, la vente de charité et enfin la distribution des prix. Sans oublier au milieu de tout cela le jeudi de l’Ascension « congé d’ouvrage » et la Pentecôte.

La vente de charité fait partie des évènements heureux dont je garde un souvenir émerveillé, surtout les premières années. La messe dite, c'est " Portes ouvertes" à partir de 10 ou 11 heures, toutes nos familles arrivent, frères et sœurs courant en tous sens. Dans la cour d'honneur, à partir de 19??, un haut-parleur diffuse de la musique moderne choisie par nous et contrôlée par l'autorité, (ex: H. Salvador: le lion est mort ce soir), ponctuée d'informations qui nous incitent naturellement à acheter les billets de tombola, à concourir à tel jeu, à se restaurer et à visiter l'exposition. Tout au long de l'année, nous avons travaillé pour illustrer l'exposition prévue ce jour. Le parloir et la salle d'étude sont tapissés de tentures et décorés. Nos ouvrages y sont épinglés, éclairés, étiquetés: barboteuses, chemises de nuit, nappes, serviettes assorties et broderies en tout genre fraîchement lavées et repassées par les Sœurs, et parmi elles, on peut admirer les plus beaux dessins, aquarelles, peintures à huile, sculptures. L'atelier de Mme St Augustin et de Mme St Paul a permis la confection d'objets décorés: plumiers, boîte de jeux, céramiques, tout cela nous semble fort joli. Je dois dire que mes dessins à moi ne sont pas légion, je suis archi nulle. D'autres plus douées font de belles choses à Callenelle!

Heureusement il n'y a pas seulement l'exposition. La cour d'honneur et la salle de récréations sont occupées par les stands de jeux: quilles, boîtes de conserve… et de vente de produits divers. Je suis plus particulièrement attirée par celui de Mme St Jean-Marie dans le coin à droite qui tient les confiseries avec des sucettes géantes et de toutes les couleurs, des rouleaux de réglisse et la petite boule de sucre au milieu, des caramels, des chocolats, que sais-je encore…Et aussi par le stand de la pêche, un jeu ayant beaucoup de succès, je crois qu'on y gagne à tous les coups. Deux caisses au sable sont installées dans la salle de bains et par les fenêtres ouvertes, nous tendons nos cannes. L'hameçon attrape une petite ficelle et le cadeau magique sort du sable! Plus âgées, nous participerons à la confection des petits lots pour la pêche et nous tiendrons certains stands.
Sous la pergola, près du vestiaire un grand congélateur retient notre attention, il contient….devinez quoi? des glaces! On a l'embarras du choix, en parfums, en bâtonnets, en petits pots. Et pour terminer le stand des boissons, bien fraîches. Ah! qu'ils étaient bons les sodas orange frais et pétillants !
Le soir, une fois les parents repartis, il faut tout ranger, ramasser les papiers…on a beaucoup de mal à s'endormir dans les dortoirs. C'est la fin de l'année. Plus que quelques jours. S'il reste des boissons et des glaces, on peut encore s'en acheter.

Dernier jour de l'année, solennel, celui-là: la distribution des prix. C'est une longue cérémonie au cours de laquelle on énumère les résultats de chaque élève. Il va sans dire que les meilleures ont les 1ers et 2es Prix, viennent ensuite les Accessit et je crois qu'il n'y a plus rien, hormis les encouragements.
Une répétition avant le grand jour s'impose:

1 Veuillez vous tenir correctement, silence pendant la lecture.
2 Une Telle, à votre nom, levez-vous. …Ecoutez vos nominations, approchez-vous lentement… laissez-la passer s'il vous plaît!… Marchez sans faire de bruit. Mais, pourquoi marchez-vous les bras écartés? Vous vous approchez de la religieuse, Vous faites la révérence, non pas comme cela, recommencez… bien!
… ( On se tait s'il vous plaît! ) Maintenant vous retournez à votre place. Il est défendu de regarder vos livres, encore moins de les feuilleter et de commencer à lire. Tenez-vous droites!
Le jour J, l'aumônier est là, entouré des maîtresses, pour remettre le premier prix de catéchisme. On aperçoit non loin des quantités de piles de livres d'inégales hauteurs. Quelle joie de les recevoir, surtout les beaux, les gros. Mais c'est aussi la déception ou la jalousie pour les moins nominées! Heureusement, on se les prête Anne et moi. On adore la lecture toutes les deux.

Après cette ultime cérémonie, nous sommes autorisées à quitter notre uniforme et à attendre dans notre plus jolie robe la voiture des parents qui viendra nous chercher.