mercredi 24 mars 2010

AVANT-PROPOS

Pour faire plaisir à mon père, je suis née le jour de sa fête, un 27 décembre, en 1945, c'est la St Jean. Nous sommes au salon du 52 Rue St André à Lille, seule pièce chauffée au lendemain de la guerre. Je pousse mon premier cri dans les bras du Dr Bataille.
"C'est une fille!" annonce-t-il satisfait.
"Ah, bon" dit mon père, un rien désappointé.
"Comment l'appelerez-vous ?" demande ce bon médecin.
Mes parents réfléchissent: " Euh!… à vrai dire…"
"Et si vous l'appeliez…Colette ?"
Ils se regardent tous les trois, et optent à l'unanimité pour cette proposition. Je n'ai pas mon mot à dire, je tête vigoureusement le sein de ma mère sous son œil attendri. On a tous faim, il est sept heures du soir.
Ma mère va avoir quarante ans déjà. Elle me donne une petite sœur, un an et demi après. Notre mère n'est plus toute jeune. Elle aura eu six enfants en huit ans, pendant la guerre. Elle en sort, fatiguée et souffrant d’une mauvaise circulation dans les jambes, se déplace difficilement.

Ma santé est délicate, je n'ai pas d'appétit. Survient une congestion pulmonaire, qui me mène tout droit à l'hôpital de Berck. Un jour mes parents entendent à la radio qu'un incendie s'est déclaré dans l'hôpital Calmette, le mien! Affolés, ils y partent avec mon frère aîné Jean-Pierre…Je suis toujours là, heureusement, mon histoire serait déjà finie. J'ai deux ans.

De retour à Lille, après une année de convalescence en Bretagne chez une tante, je perds de nouveau l'appétit. Raison officielle que je veux bien croire: à Lille, toutes les cheminées de la ville recrachent les fumées noires de charbon, à commencer par les nôtres. Mais je soupçonne la raison officieuse: ma mère a voulu m'inscrire à l'école Ste Catherine, l'horreur, pour une petite fille de trois ans et demi, bousculée et assourdie dans une cour de récréation sinistre, contrainte à rester assise sans bouger en classe…Je pique des colères, à tour de rôle, Maman, Catherine, ou "la bonne" Jeannine doivent me traîner sur le trottoir, me porter, je m'en souviens parfaitement. Cela ne peut plus durer…

Mes parents décident donc de me mettre en pension, comme le sont déjà mes frères et sœurs. L’air de la campagne me fera du bien ! Maman ne garde pour l’instant que la petite dernière, Anne. C’est ainsi que je rejoins mes deux sœurs aînées rentrées en octobre.