mercredi 24 mars 2010

CHAPITRE II

Le pensionnat, les Dames de St Maur, les élèves en 1950.



CALLENELLE est l’institution idéale, surtout à l’époque des familles nombreuses. Elle est destinée à l’enseignement et à l’éducation des jeunes filles issues de la bourgeoisie. Dirigée par les Religieuses du St Enfant Jésus, dites Dames de St Maur, c'est un ordre fondé par Nicolas Barré en 1675. D'après notre encyclopédie du Larousse, les religieuses sont au nombre de 2000 en 1966. La maison mère est à Paris, elle a des succursales, dites missions, dans plusieurs villes et quelques pays comme la Malaisie ou le Japon. Ici, l’établissement est français, mais situé à 15 km de TOURNAI en Belgique.

En 1948, l’institution, qui n’accueille que des pensionnaires, est réputée pour la qualité de son enseignement, de ses services et de son environnement. C’est « la petite sœur » de « Blanche de Castille » à Lille. Elle accueille environ 150 élèves et les religieuses sont ici au nombre d’une vingtaine environ.

Le domaine a de grands bâtiments en U autour de la Cour d’Honneur au milieu de laquelle trône une accueillante statue du Sacré-Cœur entourée de rosiers et d’une couronne de violettes et de corbeilles d'argent. Le pensionnat a également une annexe située dans le village appelée « L’école ménagère » reliée au domaine par une superbe allée taillée en treille. Y sont accueillies les élèves qui sont formées pour devenir de bonnes maîtresses de maison.

L’accès au pensionnat se fait par une sombre allée de marronniers où l’atmosphère est tout de suite écrasante. De hautes haies de charme gênent à la fois la vue et l’accès aux beaux vergers et potagers qui la bordent. Le poulailler, quelques clapiers et le tennis sont aussi à l’abri des regards. Un château d’eau alimente quelques points stratégiques des bâtiments ; de grands espaces sont réservés aux récréations de plein air, la terre y est noire et poussiéreuse, et les plates-bandes souffrent des jeux de ballons…
Les allées sont toutes ornées de statues, on en trouve à chaque détour, lieux de recueillement obligés en de multiples occasions. Saint Joseph sous son abri, la vierge Marie dans sa grotte. Michel tient sa lance, Bernadette son rosaire, l’archange Gabriel son sourire, Thérèse son missel….sans oublier le Calvaire, une grande croix sur un tas de pierres enfouies sous le lierre.
Deux beaux magnolias solennisent l’entrée de la cour d’honneur.

En 1950, Les Dames de St Maur ont une hiérarchie bien établie :
La mère Supérieure, appelée « Madame la Supérieure » La fenêtre de sa chambre est celle au-dessus du perron.
Les religieuses enseignantes ont pour titre :"Madame St(e)". C’est, semble-t-il leur dot qui détermine la hiérarchie car elles ont eu accès à l’instruction et sont diplômées. La plupart sont françaises.
Les sœurs appelées : "Sœur" sont donc des subalternes affectées aux humbles tâches ménagères. Curieusement, elles sont toutes étrangères, exilées d’un pays persécuté par les guerres : polonaises, portugaises, espagnoles et italiennes et même une russe.

Leur costume est à l’image de leur vie, pas bien gai ! même tout à fait sinistre. Je vais essayer de le décrire bien qu'il soit très compliqué. Je n’ai pas eu l’audace de compter les jupons. Tout est noir, les chaussures, les chaussettes, les jupons, la jupe très plissée, le corsage sans col, le tricot de laine et la cape qui recouvre la poitrine. Souvent un tablier sur le tout. Pour ornement un crucifix reposant confortablement sur toutes ces épaisseurs. Et enfin la coiffe : au-dessus d’un bonnet serré sur le front d’où pas un cheveu ne dépasse, la coiffe est triangulaire et descend le long des joues comprimant les bonnes mines éventuelles et accentuant la sévérité du visage. Cette coiffe est faite d’un voile qui peut se rabattre sur le visage. C’est ainsi par exemple qu’elles s’avancent vers le banc de communion, tête baissée dans une attitude recueillie. Je cherche à deviner qui se cache sous cette apparence de femmes voilées. En été, elles sont écrasées par la chaleur et s’en plaignent parfois. Combien de fois les verrai-je ruisselantes, s’épongeant le front. A propos des sœurs qui repassaient, balayaient, astiquaient, cuisinaient, jardinaient… ainsi vêtues, je citerai cette phrase de Verlaine :
« La vie humble aux travaux ennuyeux et faciles est une œuvre de choix qui veut beaucoup d’amour. » ( inscrite sur une image de feu mon missel !)

A certaines heures, elles déambulent dans le parc, tête penchée sur un livre d’office, ou les mains cachées, enfouies dans les manches, comme sur la photo.



J’admire la perfection avec laquelle ces religieuses savent s’habiller : derrière les rideaux de leur alcôve, elles se lèvent au premier coup de cloche discret annonçant l’office matinal. A la lumière d’une faible veilleuse et sans miroir, elles ajustent au millimètre près coiffe, boutons, jupes. Soir ou matin, j'observe avec curiosité leurs ombres en mouvement. Quand un peu plus tard je décide moi aussi d’être bonne sœur, je redouble de ferveur dans mes prières pour avoir la patience de venir à bout de tant de complications. Pour l’instant je m’énerve vite contre deux agrafes récalcitrantes !

Notre uniforme à nous est strict aussi mais moins sinistre tout de même. Il est bleu marine des pieds à la tête, (pas de socquettes ni de bas, que des chaussettes !) ce qui anéantit tout effet de coquetterie, tend à dissimuler les différences de budget en la matière, diminue le nombre des lessives, qui se font au chaudron, rappelons-le. Les dimanches et jours de fêtes, nous sommes en grand uniforme : béret, col blanc, gants blancs, chaussettes blanches. Quel problème ces chaussettes blanches, après quelques lavages répétés elles se fatiguent vite, elles tombent comme des tire-bouchons. Nous mettons alors des élastiques pour les maintenir, si serrés parfois que le sang ne circule plus. Et comment maintenir des chaussettes blanches, propres, quand on joue sur un terrain noir ?