mercredi 24 mars 2010

CHAPITRE XX


1956-1957 Ma première sixième. Mme Clément. Notre communion solennelle



Début des classes secondaires, nous sommes au garde-à-vous, face à toutes ces maîtresses que l’on ne voyait que de loin. Mme St Jean-Marie est responsable des 6es et 5es classiques. Les gamines que nous sommes sont pour l’heure très attentives, mais elle aura fort à faire par la suite Elle enseigne le français et l’histoire mais aussi le latin, une nouvelle matière.




La sévère,mais élégante Mme St Benoit assure l’anglais, première langue. Là, je n’en mène pas large : elle s’impatiente parce que je n’arrive pas à dire « The » correctement, je dis « ze », il n’y a rien à faire, donc je me fais toute petite. Je m’applique.



Mme St Augustin qui ne sourit quasiment jamais, est la maîtresse de dessin ; je lui trouve un regard perçant et très sombre. Elle partage, de plus ou moins bon gré, avec Mme St Paul, un grand atelier en-dessous du dortoir rose, éclairé par deux baies vitrées; Il faut dire qu'elles n'ont aucun point commun dans la façon d'exprimer leur art. Je n'ai pratiquement jamais mis les pieds dans cet atelier, mais lorsqu'on s’approche des carreaux, les yeux protégés entre les deux mains pour éviter les reflets, on peut voir leurs œuvres et celles des élèves les plus douées. C’est parfois bien joli. Soisic à l'école ménagère y suit des cours de peinture, pyrogravure et autres arts plastiques. Elle possède encore une boîte à jeux décorée de 4 cartes (roi de cœur etc…) .


Aujourd’hui, Mme St Augustin veut nous faire dessiner un pot qu’elle a placé bien en vue sur le bureau ; avec un crayon, on tend le bras pour mesurer les perspectives… mon pot à moi, malgré l’axe, est tordu et à force de gommer, le dessin devient tout sale. Le religieuse soupire ! Maintenant, il faut lui donner du relief, tracer des courbes. Rien n'y fait, mon pot est toujours plat, bancal et fêlé. Mme St Augustin s’exaspère : « Mais dessinez donc ce que vous voyez ! Observez les ombres !» Je m’applique et fais de mon mieux, le pot que je vois est brillant et les barreaux de la fenêtre s’y reflètent. Je les reproduis tels que je les vois. Mme St Augustin s’approche à nouveau, je me ronge les ongles, elle regarde mon dessin et dit : « C’est quoi, ça, ces traits ?» Je lui réponds « les barreaux de la fenêtre » Ses yeux sombres vont de la fenêtre, au pot, à mon dessin et elle conclut sèchement : « N’importe quoi ! ». Soudain elle voit mes ongles et s’emporte d’une colère méprisante.. .Je sais qu’elle n’a pas tort mais ma sensibilité est encore mise à rude épreuve. Me voilà fâchée avec le dessin pour le restant de mes jours, alors que papa et Soisic y consacrent quelques belles heures. A la chapelle, je n’ose plus croiser le regard de Mme St Augustin et fais tout pour l’éviter…jusqu’à sa mort l’année suivante.


Et pour terminer le solfège enseigné par Mme Clément.
Mme Clément est professeur de piano. Je crois qu’elle a eu un premier prix au conservatoire de Paris. Ce n’est pas une religieuse, elle vient de Tournai, arrive en train, celui de 13h 30, plusieurs jours par semaine. Qui n’a pas vu Mme Clément remontant à grand peine l’allée, appuyée sur sa canne ? Elle boîte affreusement, fragile silhouette que dame nature ou sœur santé n’ont pas gâté. Mais Callenelle ne serait pas tout à fait Callenelle sans elle. En divers lieux du pensionnat, on entend de petits airs, des gammes, des accords parfaits et imparfaits, de jolies sonatines aussi… Je compte sept pianos, (à côté de la classe rose, économat, parloir, infirmerie, salle d’étude, petit salon, salle de récréation) certains pas très justes d’ailleurs; le meilleur étant celui de la salle d’étude où se déroule le concours de piano de fin d’année.
Elle arrive tout essoufflée au petit salon et commence ses leçons particulières. Ses horaires sont réglés comme son papier à musique. Elle enchaîne ses cours de solfège. Tâche ingrate, une leçon de quarante cinq minutes, la clé de sol, ça va encore, la clé de fa, ça se complique. Quand on rajoute les triolets et les demi-pauses, dans une mesure à quatre temps, et qu’il faut ajuster sa voix aux notes en respectant le rythme et les nuances, il y en a qui sont perdues. Il faut déchiffrer, sans cesse répéter les mêmes portées, …le résultat est que pour s’asseoir, elle a besoin du tabouret, et pour asseoir son autorité, elle a besoin du concours d’une religieuse. Sa tasse de thé est bien méritée juste avant la dernière leçon particulière, son train est à 16h 30. Pour ma part, je me plie volontiers à cet apprentissage de la musique ; mon père, encore lui, joue du piano, j’envie Soisic qui prend des cours, sans enthousiasme d’ailleurs et tapote quelques airs simples, je rêve de jouer aussi bien que certaines grandes.


*****


L’entrée en sixième coïncide avec un changement de dortoir, on intègre l’aile gauche du pensionnat. L’angélus est toujours en vigueur, le lever des persiennes aussi. Nous avons chacune une alcôve en bois que ferme un simple rideau blanc. J’apprécie ce petit coin d’intimité… qui ne l’est pas vraiment. A tout moment, le rideau peut être écarté. Le meilleur moment se situe après l’extinction des lumières et le dernier passage de la surveillante. La première année, nous avons Anne et moi des alcôves contiguës. Je m'introduis subrepticement dans la sienne, je me glisse dans son lit et nous dégustons avec volupté quelques friandises, notamment du lait concentré sucré. Nous nous séparons quand l'inconfort de notre lit devient vraiment pénible. Bien vite, nous nous livrons à ce petit jeu défendu que les aînées pratiquent depuis toujours: le bavardage du soir. Il consiste à se lever, et debout sur notre lit, par-dessus les alcôves, nous chuchotons gaiement entre voisines, échangeant bonbons, solutions de devoirs, bonnes ou mauvaises idées. Je revois nos têtes rieuses. On se lance volontiers une paire de chaussettes. Parfois nos fou rires mal contenus éveillent la curiosité de la surveillante. Les sanctions sont énergiques: changements d'alcôves, pénitences scolaires. Nous nous tenons tranquilles quelques jours, puis, redoublant de précaution, nous recommençons.

Un jour, on nous dit que notre sœur Catherine s'est fait renvoyer, sans plus de détails. Nous ne sommes pas vraiment surprises, on voyait bien qu'elle se faisait souvent gronder. Je la revois de loin, marchant les mains dans les poches de son tablier dont la ceinture était dénouée! On l'envie d'être à la maison. En réalité mon père est entré dans une grande colère.


Soisic est en 3e ; elle apprend avec plaisir la sténo, pour devenir secrétaire. Elle doit résoudre des additions d’une hauteur impressionnante, pour devenir comptable aussi. Elle excelle dans les travaux de couture, elle aime le dessin et adore le sport. Ses amies sont entre autres Claude et Sabine de Béthune, les Ardaens….


Le 23 avril, c’est la fête de Mme St Georges, notre supérieure. Comme pour la Ste Catherine, c’est une journée de vacances et de jeux, à la seule différence que nous ne chantons pas en entrant dans le réfectoire et que nous n’avons pas de petit chapeau. Le repas est nettement amélioré.
L’après-midi, c’est génial, tout au moins à partir d’un certain âge, les maîtresses organisent des jeux de piste. Cela consiste à résoudre une dizaine d’énigmes. Les questions sont écrites sur des petits bouts de papier, de couleurs différentes selon les classes, numérotés et cachés dans divers coins du parc. La réponse du n°1 nous conduit à la question n°2 et ainsi de suite. A la dernière question se trouve le trésor. Nous voici donc réparties en petits groupes, courant librement dans toutes les directions, furetant dans le lierre du calvaire, escaladant la grotte de Ste Bernadette, tâtonnant St Michel….Mme St Jean-Marie est experte en jeu de piste et s’amuse à nous voir réfléchir et participer avec entrain. Quand c’est trop difficile, on va la voir, essayant de lui soustraire une information supplémentaire qu’elle finit par donner, évidemment. Une fois, on n’y comprend rien, le message est écrit en latin. Je suis assez bonne dans cette matière et nous voilà essayant de traduire cette mauvaise version avec nos gros « dicos » . Impossible ! Je râle, je ne trouve pas ça drôle, elle me dit que je suis mauvaise joueuse, c’est vrai.


« Praede terra es plana de jesui ejus te a corte de pede statu de mei caeli arcant curre vita semper de tempus, serpens mea valera cum laetitia dandimi nute ».

Son texte aurait pu ressembler à ça mais il devait être certainement plus subtil, celui-là, je viens de l’inventer de toutes pièces. C’est ainsi qu’elle nous a composé un message en latin de cuisine, et nous n’y avons vu que du feu. Une autre fois, c'est un papier vierge. Rien ! Que faire ? …ou encore un texte incompréhensible, signé l’avocat, ou le BCG.
On s’amuse vraiment bien, ce jour-là.



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En mai 1957 nous faisons ensemble Anne et moi notre communion solennelle. Tout en bas à gauche, l'archange est Marianne Delmotte, juste à côté d'elle la première communiante est Anne. Je suis à demi cachée la 3e à gauche, derrière moi Cécile Poutrain. J’ai pour petit ange Claudie Paindavoine. Marie-Françoise Egalon est la 6e en remontant à droite. Marie-Alice : première communiante à droite. Je n’ai pas de certitude pour les autres noms. Cette photo est prise sur l’escalier de l’esplanade, en dessous de la chapelle.



La Communion solennelle est d’une importance capitale dans l’éducation des catholiques, on l’appelle aussi Le renouvellement des vœux du Baptême ou encore la Profession de Foi. Nous nous y préparons depuis longtemps par les cours de catéchisme et à l’approche de la date, la retraite est l’ultime étape de cette préparation. Nous voici donc"cloîtrées" le temps de la retraite.
Nous sommes regroupées dans un joli petit dortoir dit "Dortoir Ste Agnès" (parfois appelé: "des Anges" à cause de l'anagramme) situé au-dessus du parloir, dans le bâtiment principal. Joli car un grand drap blanc au-dessus de chaque lit sert d'alcôve, le parquet est bien ciré, nous sommes dans le bâtiment principal. La toilette se fait dans la pièce voisine, toujours dans des cuvettes mais l'eau chaude n'est pas loin; il y a même une baignoire, réservée aux religieuses du bâtiment. Et à côté la chambre de Mme Ste Geneviève.

Donc nous sommes en retraite et j'évoque ici des moments qui ont jeté le trouble dans ma conscience. Je suis pour l’heure très croyante et très pratiquante, je ne remets pas en cause ce que l’on m’enseigne malgré les points obscurs de la religion. L'aumônier nous fait prendre conscience de la gravité des paroles que nous allons prononcer, l’une après l’autre, un cierge à la main, l’autre main tendue sur le missel et qui rendront notre engagement définitif :


« Je renonce à Satan , à ses pompes et à ses œuvres
et je m’attache à Jésus-Christ pour toujours »



Il explique les pompes, parfait! Et il insiste bien sur TOUJOURS. C’est là où j’hésite et avec sincérité, je fais part de mes doutes, je ne suis pas capable de m’engager pour… TOUJOURS. A ses yeux exorbités, ou tout au moins à son air offusqué, que n’ai-je pas dit ? La religieuse, présente à chaque instruction, est plus que contrariée, elle est indignée, et me menace de tout quitter, tant et si bien que je bats vite en retraite et promets tout ce que l’on veut. Je veux la faire, ma communion, et regrette déjà les mots que j'ai prononcés. Je la fais d’ailleurs avec sincérité mais au fond de moi, le malaise a fait son nid. J'ai fait une promesse que je ne suis pas sûre de tenir.
Pourquoi aussi, l'aumônier s’amuse-t-il à nous soutirer, toujours avec gravité, cette résolution : de réciter trois Je vous salue Marie tous les soirs ? Lui le fait, dit-il, tous les soirs, quel exemple ! C'est un saint homme ! J’ai tenu 6 ou 9 mois, pas plus !
La veille de l'évènement, nous sommes toutes très excitées. Mme Ste Geneviève doit intervenir sévèrement à la salle de bains.

C’est une belle fête. A la chapelle, nous sommes l'objet de tous les regards des familles présentes. Nos déplacements ont été diligemment préparés, nous portons chacune un gros cierge et nous nous agenouillons sur des prie-dieu confortables; la chorale donne le meilleur d'elle-même. Les pensionnaires, elles, sont entassées là-haut à la tribune et ne profitent que très peu du spectacle; elles descendent juste pour communier.
Après la messe, chaque famille est reçue à déjeuner dans les diverses pièces de la maison, parloir, salle d’étude…nous sommes, nous les Maquet, à l’économat. Le repas est délicieux. Au moment du dessert, nous recevons les cadeaux : Anne a un missel tout neuf et Maman me remet précautionneusement un vieux missel tout chiffonné dont elle tourne les pages pour tenter de me le faire aimer, c’est celui de ma grand’mère. Je comprends bien qu’elle ne sait qu’en faire, que c’est peut-être aussi une économie inespérée mais je suis affreusement déçue et désappointée devant ce que je considère comme une antiquité, aussi chargée d’affection soit-elle ! Heureusement nous recevons aussi chacune un stylo à encre ! Et une montre ! Une vraie ! Et pour terminer, j’ai une croix genre plâtre pour décorer ma chambre tandis qu’Anne se voit offrir un petit disque 45 tours du Père Duval. La veinarde ! Je suis carrément jalouse. Mais on n’a rien pour l’écouter, c’est un peu frustrant. Plus tard, on l’écoutera ensemble, qu’elles sont belles et gaies ses chansons !: « Le Seigneur reviendra » « Tout au long des longues longues plaines… » Aimé Duval doit être l’ombre de notre premier amour.





…..Au Noël qui suit, quelle n’est pas ma surprise de recevoir un missel tout neuf, celui de mes rêves, que d’autres ont déjà, le dernier à la mode, un missel Feder. C’est un gros livre rédigé comme son nom l'indique par le Révérend Père Feder, en papier si fin qu’il fait un joli bruit quand on tourne les pages. Il doit en comporter au moins 18OO , peut-être davantage, toutes dorées sur la tranche, ce qui fait mon admiration. Il est en français et en latin, comme je le souhaite, et reproduit la musique complète des différentes messes, cantiques, et chants. Je redouble de ferveur. Désormais à la messe du matin, j’ai de quoi m’occuper, je me délecte à lire le martyre des saints, les évangiles, à étudier le latin, à comprendre pourquoi on emploie l’ablatif plutôt que l’accusatif dans tel passage, à déchiffrer la musique. Certains psaumes en latin me semblent si beaux que je décide de les apprendre par cœur, ainsi le Veni Creator, le Magnificat, le Dies Irae. J’ai le temps ! C'est l'époque où nous collectionnons les images pieuses, nous les offrons, nous les échangeons, inscrivant au dos de belles maximes ! En fait, nous sommes vraiment sincères et très pieuses!



Pas toujours cependant ! La mode est aux scoubidous et parfois nous arrivons à en glisser dans nos poches, et pendant la communion, cachée par une complice, je tresse en rond ou en carré ces petites lanières de plastique de différentes couleurs; ou alors sur un jeu carré, je fais glisser des petits carrés pour former un dessin ou une suite de chiffres. Ou encore, je fais tourner des petites perles dans un labyrinthe pour les mettre au milieu du cercle. Rien de bien méchant, mais il ne faut pas se faire prendre. Pendant la communion, je récite le nom de toutes les religieuses.



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La fête du Sacré-Cœur, à moins que ce ne soit La Fête-Dieu, est célèbre à l’époque. Elle est l’occasion d’une procession solennelle dans tout le parc, splendeur requise. Elle est surtout l'occasion de revêtir une dernière fois notre robe de communiante. Avant le grand jour, nous répétons les gestes à accomplir pour un défilé soigné. .Les enfants de chœur du village sont en tête de cortège, l’aumônier porte haut un crucifix, les religieuses et les élèves en grand uniforme suivent derrière, certaines portent des bannières. C’est notre tour. Accompagnées de nos petits anges, et revêtues de l’aube blanche et de notre voile, nous portons des corbeilles tenues par un ruban derrière la nuque remplies de pétales de roses. A tour de rôle, deux par deux, nous nous retournons devant la châsse du Saint Enfant Jésus pour jeter quelques pétales sur son passage, cela nous amuse beaucoup. Nous allons ainsi, chantant, priant, récitant les litanies du Sacré-Cœur, dans toutes les allées de la propriété, partant de l’esplanade, nous passons devant St Joseph, puis devant la grotte, nous nous dirigeons vers l’école ménagère, nous passons sous la belle treille dont on ne peut s’empêcher d’admirer les arceaux de végétation, et retour devant Ste Bernadette puis la statue de la vierge Marie dans l’allée des marronniers.

En fait, cette procession est distrayante, à plus forte raison si l’on est communiante.