mercredi 24 mars 2010

CHAPITRE III

Le dortoir des petites et la toilette.

LE DORTOIR du ST ENFANT JESUS également appelé dortoir rose est celui des élèves du primaire. Il est situé en face de l’entrée de la Chapelle. Les lits en fer forgé, une trentaine environ, les tables de nuit, les tabourets sont parfaitement alignés. Aux quatre coins une alcôve, celles de l’angle A est celle d’une "dame", celle de l’angle C est celle d’une sœur. Les deux autres, la B et la D sont occupées par des élèves privilégiées, pas peu fières d’ailleurs, qui sont peut-être précoces. Derrière leurs alcôves, elles font des tas de cachotteries. Je n’y aurai jamais droit, cela m’est bien égal car leurs rideaux ne sont quand même pas un obstacle aux inspections des surveillantes. La veilleuse allumée en permanence me rassure. Un crucifix est accroché au mur, sur une tapisserie du genre le petit chaperon rouge dans la forêt. D’étroites armoires à linge en bois alignées de part et d’autre.
Au fond, les lavabos, non ! des cuvettes en porcelaine blanche avec des cruches assorties sont disposées sur des étagères de part et d’autre de la porte. Elles sont destinées à la grande toilette : à l'heure dite, nous sommes chacune devant notre cuvette en tenue adéquate: nous avons juste un maillot de corps et notre chemise de nuit est nouée à la taille par les manches. Les ablutions terminées, nous vidons l'eau dans un seau destiné à cet usage. Un soir, je suis en retard, le seau n'est plus là. Il est interdit d'aller jusqu'aux toilettes avec la cuvette en porcelaine, mais je ne vois pas d'autre solution pour la vider; tandis que je transporte ma précieuse cuvette, je sens le nœud des manches de ma chemise de nuit se desserrer, je vais me retrouver à demi-nue, je serai la risée des élèves du dortoir, je tente un mouvement pour empêcher la chemise de glisser et la cuvette m'échappe et s'écrase sur le plancher dans un fracas de porcelaine brisée et d'éclaboussures. Cette désobéissance doublée de maladresse est sévèrement punie mais je pleure davantage pour mon malheur, une détresse de petite fille qui n'a pas de chance; je n'ai plus que la cuvette en émail, celle qui est destinée à la petite toilette du soir qui se fait dans une pièce à l’abri des regards.
Le dortoir rose a son règlement, un règlement parfait.
Une fois lavées, nous nous soumettons à l’examen de toilette devant la religieuse: c’est une sorte de gymnastique destinée à montrer la propreté des oreilles, du cou, des mains, des coudes, des genoux et des pieds.
Pour terminer la journée, nous récitons la prière du soir toutes ensemble, à genoux au pied du lit.
Puis, nous lançons: « Madame nous vous souhaitons le bonsoir! » sur un petit ton chantant. Enfin nous nous mettons au lit, en suçant notre pouce pour certaines ou en serrant bien fort notre doudou, un gros ours, une peluche, une poupée,. Je voue à ma première poupée, qui n’est pourtant pas bien belle, des trésors de tendresse.

Chaque semaine, nous avons la visite de l’armoire à linge. Les piles doivent être impeccables. La note d'ordre compte sur le bulletin. Suivie par l’examen de lessive : il consiste à étaler sur le lit une serviette de toilette usagée et à disposer dessus le contenu de notre sac de linge sale, bien plié ! La surveillante vérifie qu’il soit marqué, et note la quantité. J’aurai l’occasion d’en reparler.
Nous cirons nos deux paires de chaussures régulièrement, celles de la semaine et celles du dimanche, selon une méthode bien précise, dans une pièce réservée à cet usage près des toilettes.

Les toilettes se font en silence. Pas toujours, cependant, lors d’une fête religieuse, le matin ou le soir, c’est selon, nous répondons à une litanie, c’est celle de tous les Saints, de la Vierge Marie, du St Nom de Jésus (ah non, pas celle-là, sa fête est le 2 janvier donc nous sommes en vacances !) ou de St Joseph le 19 mars ; elles ont des pièges, elles sont très longues, entre chaque louange, il faut dire « priez pour nous » mais soudain, sans prévenir car le ton est monotone, ça change, il faut dire « exaucez-nous » ou « ayez pitié de nous » ou « délivrez-nous Jésus ». Je revois Sœur Madeleine ou Sœur Simone avec leurs petites lunettes énumérant tous les noms, auxquels nous répondons « priez pour nous » tout en nous lavant les dents au-dessus de notre cuvette… Quelque chose au fond de moi me dit que c’est un peu ridicule. Les litanies se récitent aussi dans les rangs.

Une fois par quinzaine, nous prenons un bain. Nous descendons par petits groupes au rez-de-chaussée où se trouve la salle de bains équipée de quatre ou cinq baignoires. Mon premier bain est surprenant, je ne dois pas retirer ma chemise pour aller dans l’eau. Pas toute nue ! C’est ainsi que l’on me frotte. Je pense : à la maison, on ne fait pas comme ça !