mercredi 24 mars 2010

CHAPITRE XVI

1952-1953 Soisic, Jean-Pierre à Froyennes



L’arrivée de Mme St Georges apporte une certaine souplesse dans le règlement du pensionnat, à la satisfaction générale. Le claquoir qui nous faisait toutes sursauter disparaît. Ainsi que la lecture pendant les repas.
A propos du claquoir, en effet, j’ai encore un tout petit souvenir : chaque année les élèves des grandes classes montent une pièce de théâtre. Tout le pensionnat est convié à y assister. Nous sommes dans la salle d’études aménagée pour l’occasion. Sur l’estrade, des paravents forment les coulisses, un rideau rouge a été tendu. Bref, le spectacle a lieu. Je ne vous dirai pas le nom de la pièce ni son sujet, je n’y ai rien compris mais c’était très réussi. Le rideau se ferme, spontanément quelques rares applaudissements éclatent, aussitôt interrompus par cet ordre : « Au claquoir s’il vous plaît ! » Et en effet, le clac… claque, libérant les applaudissements.

Un jour, une religieuse entre dans ma classe et me prévient doucement que je ne dois pas pleurer, ma grand’mère vient de mourir. Je pleure quand même un peu, mon chagrin est réel mais il est aussi dû au fait que mes deux sœurs aînées ont eu le droit d’aller à l’enterrement et pas moi. Je trouve que ce n’est pas juste, et sans l'avouer, une occasion manquée de retrouver mes parents. Je repense à cette image d’elle, son visage tout jaune sur un oreiller blanc, elle avait tenu à nous voir une dernière fois, elle avait une bonbonnière de sucre candi, une gâterie dont nous pûmes profiter, son regard nous a suivies tendrement jusqu’à ce que nous quittions sur la pointe des pieds sa chambre. C’est maintenant que je réalise l’intensité de son regard. J’ai compris qu’elle avait rejoint Mère St Alfred.

*****

Est-ce à l’approche du cinquantenaire ? Ou par nécessité, un changement important est intervenu, une pergola toute neuve a été construite le long des salles de classes, ce qui facilite nos déplacements par tous les temps. Je crois bien que les peintures du bâtiment sont refaites à cette occasion, sans certitude. Callenelle rajeunit. D’autant que Sœur Christine et Sœur Romuald ont planté des fleurs au pied de certaines colonnes, des pois de senteur grimpants et des capucines, qu’elles arrosent ou protègent du gel avec soin. Je le sais car un jour, je marche la tête en l’air et accroche au passage une vitre de protection qui se brise. Qui casse, paie, me dit-on.

*****

….Sous la pergola, nous sommes alignées en direction du réfectoire. On nous dit avec gravité qu’il va peut-être, peut-être y avoir la guerre et qu’il faudra bien obéir. On nous dit que ce ne serait pas drôle du tout, et qu’on pourrait même avoir faim. Il y a pendant quelques jours des prières, les religieuses sont tendues. Heureusement ça n’arrive pas.

*****


Cette même année, ma sœur Soisic fait à son tour sa communion solennelle.

Elle reçoit un missel, il porte son nom en belles lettres de l’écriture de notre père . A l’intérieur, deux images pieuses au dos desquelles est écrit un texte de sa « marraine » pour ses 14 ans. Je ne résiste pas au plaisir de la reproduire.




L’autre image est de Françoise du Maisnil,

aussi touchante,

surtout quand on la retrouve cinquante ans après.











Je ne résiste pas non plus au plaisir de relater la journée qui va suivre, bien qu’elle ne se déroule pas à la pension. Elle fait partie d’un de mes plus beaux souvenirs, un dimanche de cette même année.

Les parents viennent nous chercher pour assister à la fête de la gymnastique à Froyennes, la pension de Jean-Pierre. Nous pique-niquerons et l’après-midi, ce sera le défilé des élèves et leurs épreuves. Les bâtiments du collège sont dix fois plus beaux, plus hauts, plus élégants que ceux de Callenelle, il faut dire qu’ils accueillent aussi dix fois plus d’élèves, je ne sais pas combien au juste. Bref quand nous pénétrons dans l’internat, nous sommes impressionnées. A la demande de Catherine, Maman a apporté nos plus belles robes, histoire de ne pas être avec nos jupes plissées bleu marine. Malheur ! Maman a oublié celle de Soisic. Jean-Pierre est ravi, un peu intimidé toutefois. Comme il est beau, tout en blanc. Sur la poitrine ils ont tous l’insigne de leur collège. Les parents aussi sont sur leur trente et un. C’est l’occasion de faire une belle photo de famille, même deux !



On n'avait pas imaginé que la fête serait aussi belle. Les écoliers sont tous en blanc, alignés à la perfection. Aux coups de sifflet, ils exécutent leurs déplacements et leurs mouvements avec une synchronisation parfaite. Du haut de nos gradins, le spectacle est magnifique. La foule applaudit. Impossible de voir Jean-Pierre. Ensuite certains courent, d’autres sautent en hauteur, en longueur, au cheval d’arçon comme des chats. C’est un peu long pour Anne et moi, les classes sont si nombreuses. Mais voilà ça se termine et les élèves à nouveau s’alignent pour la fin du spectacle. Nous sommes fières de notre grand frère.
Nous nous quittons et c’est bien à contrecœur qu’il faut sans tarder retourner à Callenelle.